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zalandeau3

21 décembre 2016

1940 Une défaite programmée - 11 et 12 mai 1940

GSM1

Le 11 mai nous essuyons des tirs isolés. Nous répondons à chaque fois. Mais nous entendons le bruit de la guerre vers le sud et l’est. D’âpres combats se déroulent, comme en témoignent les épaisses volutes de fumées et ce bruit de fond qui approche.
 
Nous recevons des munitions dont on nous dit qu’elles seront les dernières.
 
La nuit du 11 est comme celle du 10, vécue dans la fébrilité. Le lieutenant organise des groupes d’explorations de nuit, afin de déceler les éventuels mouvements ennemis.
 
Le matin du 12, nous n’avons guère le temps de réfléchir. Des combats violents s’engagent à quelques kilomètres de notre aile sud. Nous voyons l’aviation ennemie piquer vers les positions des unités concernées. Nous essuyons alors un violent tir d’artillerie.
 
Comme le 10, nous subissons des pertes. Le spectacle est horrible, mais ne nous terrifie plus.
 
Nous sommes endurcis par toute cette horreur.
 
Quand le pilonnage cesse, nous sommes tous à nos postes, prêt au combat.
 
Les uniformes vert de gris arrivent en courant vers nous. Plusieurs vagues montent à l’assaut de nos positions.
 
Je donne les mêmes ordres qu’avant-hier. Tout le monde est prêt.
Je regarde ces hommes qui viennent vers nous, avec des équipements légers, en bras de chemise, chaussés de bottes, avec des mitraillettes et des grenades.
 
Je pense à ce moment que nous sommes vraiment en retard d’une guerre, avec nos capotes et nos bandes molletières, avec nos équipements très lourds et nos armes d’un autre âge…
 
Ils avancent rapidement vers nous en tirant des rafales. Pour éviter les balles, mes hommes sont baissés, certains, pour toujours.
C’est au moment où je commence à apercevoir leurs boutons et leurs boucles de ceinturon, que je donne l’ordre de feu.
 
Je recommence comme avant-hier, avec Lucien, cette fois, pour approvisionner les bandes.
J’ai l’impression de faire la moisson. A travers le fracas des armes, j’entends des cris près de moi. Je sais que certains de mes hommes sont blessés. Je sais que d’autres doivent être morts.
 
Je n’ai pas le temps de regarder. J’encourage seulement de la voix.
La troisième vague arrive et dépasse la deuxième, malgré l’intensité de notre riposte.
C’est à la grenade que nous terminons le travail encore une fois. La troisième vague se replie ainsi que les rescapés des deux vagues d’assaut précédentes, pendant que je fais cesser le feu.
 
Nous avons des pertes. Je fais le compte et le fais porter au lieutenant. Les infirmiers sont débordés.
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8 décembre 2016

1940 Une défaite programmée - 10 mai 1940

GSM1

Une estafette vient nous réveiller et nous dit d'aller à nos postes.
 
Je saute hors de ma couverture.
Voila mes camarades en train d'enrouler leurs bandes molletières, alors que moi je n'ai que ma capote à enfiler. Je crie à mes hommes de se dépêcher.
Je cours vers le poste de mitrailleuse en pestant contre les servants qui se permettent de ne pas être là.
J'engage une bande et arme la culasse. Mais bon sang, qu'est-ce qu'ils foutent ?
Je pourrais tirer, mais sans personne pour guider la bande, je risque l'enrayement.
Putain de matériel démodé ! Putain de bandes molletières !
 
Je vois le lieutenant faire signe en direction de l’Est. C’est le petit jour.
Je scrute et j’aperçois des mouvements. J’ouvre l’étui, j’extirpe les jumelles… Pleines de buée…
Quel est le con qui les a laissées là cette nuit ? J’essuie comme je peux les optiques.
Appuyé sur les sacs de sable, je règle la focale. Stupeur ! Des boches, plein de boches, qui progressent par bonds successifs…
« Qu’est-ce qui se passe ? », me demande Émile, le soldat qui vient d’arriver. « Prépare des bandes et mets toi là ! ». « J’suis le tireur pas l’approvisionneur ! ». « M’en fous ! Fais c’que j’te dis ! D’abord tu tires comme une patate ! ». J’entends les gars arriver….
 
«Sortez des grenades d’avance ! Armez vos flingues et prêts à faire feu ! ». J’entends le cliquetis des lebels…
 
Déjà des coups de feu partent de notre camp, loin sur notre droite. Quel est le con qui les a laissé tirer. Maintenant les boches savent qu’on les attend. Bande d’abrutis !
 
 
Je vois au loin, plein de types en uniforme foncé, se relever et courir vers nous.
Ça y est ils attaquent ! Je lache les jumelles. Ils sont tout petits encore, mais ils arrivent !
 
Je me tourne vers mes hommes. « Ne tirez pas. Attendez que je vous donne l’ordre ! Mettez en joue ! Vous ne tirerez qu’à coup sûr. Chaque balle doit porter !
 
Je me mets à la mitrailleuse et Mimile tient la bande. Nos gorges se serrent.
Des petits éclairs sortent des armes adverses. Le ricochet des balles nous fait rentrer la tête dans les épaules. Un cri de douleur jaillit ! Déjà un homme est touché.
« Ne tirez pas. Ajustez-les ! »
 
La première vague est maintenant proche. Il faut que je donne l’ordre. Ma gorge se serre. Jamais je n’aurais cru un jour devoir tirer et faire tirer sur des hommes…
 
« Feu ! »
 
Un déluge de feu part de notre position, tandis que j’ajuste un type à gauche et j’ouvre le feu, en tournant le tir vers la droite. J’arrête. J’abaisse la visée et je recommence, par petites rafales. Je repositionne sur la gauche. Putain, ils sont encore plus près ! Je recommence de la gauche vers la droite, encore une fois.
 
Il y en a plein qui approchent en courant vers nous.
 
Je crie « Grenades ! ».
 
Moi et mon servant nous nous baissons.
Des détonations multiples nous vrillent les tympans.
 
Je relève la tête. Des fuyards Boches essaient de s’échapper ! « Les laissez pas s'barrer ! Feu ! Feu ! Feu ! »
 
Le terrain qui s’étend entre nous et le bois, est jonché de corps.
On entend des gémissements « chez eux », mais aussi « chez nous ».
 
Bon sang qu’est-ce qu’on a comme pertes !
 
Mes copains, mes camarades, mes amis, mes hommes, les hommes des autres unités…
 
Mon serveur ! « Mimile ! ». Il saigne comme une vache ! Putain ! Il a un trou dans la joue et peut-être aussi dans le cou… Il me fait signe en essayant de parler… Il n’a plus de langue, arrachée par une balle…
 
« Oh putain Mimile, Mimile.... mon Mimile ! »
 
Le lieutenant nous fait dire que nous allons recevoir des renforts de la deuxième ligne.
 
Pendant ce temps je compte mes pertes. J'ai 8 hommes hors de combat, dont trois morts. Le sang est partout et nous impressionne tous. Je donne de l'eau à Mimile qui me fait signe qu'il a soif. Sa mâchoire brisée, ses joues transpercées, donnent un spectacle horrible. Son sang se répand en un filet ininterrompu. Les infirmiers sont bien trop occupés pour venir ici.
C'était ça la guerre...
On nous avait annoncé une victoire rapide sur des Allemands que le traité de Versailles avait laissés désarmés.
Ce n'est pas l'impression que j'ai de nos adversaires...
 
Je renforce mes hommes avec le renfort de huit hommes venus de la deuxième ligne.
Je leur fais approfondir notre retranchement afin d'être mieux protégés.
Ils mettent beaucoup de cœur à l'ouvrage, car ils savent que leur vie en dépend.
 
Deux infirmiers arrivent enfin pour soigner nos cinq blessés.
D'autres s'aventurent hors de nos lignes et prodiguent des soins aux allemands qui gémissent à quelques dizaines de mètres de notre position.
 
Le sang, les hurlements, les gémissements, nous impressionnent tous autant que nous sommes.
 
Je reviens voir mon copain Émile.
 
Il ne bouge pas, sa tête est penchée sur son buste.
Je m'approche en tremblant... Il ne respire plus... Il est mort vidé de son sang, comme un cochon qu'on saigne...
 
Mon Mimile, mon ami. Tu ne tirais pas très bien à la mitrailleuse, mais tu me manques...
 
Je tourne le dos à mes hommes en me relevant, pour cacher mon émotion...
 
Un sifflement caractéristique... "Tous à couvert !". Une explosion sur nos arrières.
Bientôt suivie de beaucoup d'autres de plus en plus précises. L'artillerie Allemande nous pilonne. Nous rentrons nos têtes dans nos épaules et nous faisons tout petits dans notre tranchée. Des hommes tremblent de tous leurs membres. Chaque explosion plus proche fait sursauter et monter la peur d'un cran supplémentaire. Je baigne dans ma transpiration qui me glace jusqu'aux os.
 
Des hommes hurlent de terreur. Certains appellent leur mère...
Chaque explosion réduit notre espérance de vie et a raison des caractères les mieux trempés.
Un déluge de feu, d'éclats, de pierres, de chair humaine s'abat sur nous.
 
Je reçois sur la main... on dirait de la cervelle d'agneau... Je suis horrifié... Je m'essuie frénétiquement la main sur ma capote en criant...
 
Je m'applique à me dire "reste en vie, pour tes hommes, reste en vie pour tes hommes"...
Je me calme un peu, en me persuadant que si les obus ne m'avaient pas encore touchés, il y avait des chances de rester en vie...
 
Pourquoi avons-nous été envoyés en avant poste à l'est de la Meuse ? Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ?
5 décembre 2016

1940 - Une défaite programmée - Prologue

GSM1

Prologue
 
 
C'est l'histoire d'un homme dans la tourmente de la débâcle Française de 1940.
 
Cet homme aujourd'hui disparu, m'a raconté cette épopée hors du commun.
Il a occulté pendant plus de cinquante ans cette expérience douloureuse.
 
Un jour sa mémoire lui revint et il me confia pendant 12 heures d'affilées, l'aventure extraordinaire qu'il vécut à partir du 10 mai 1940. Je n'avais pas de magnétophone.
Je lui ai demandé à plusieurs reprises, par la suite, d'enregistrer ce récit. Il refusa toujours, parce que ce souvenir douloureux, il s'en était déchargé en me le racontant, il ne voulait dès lors plus y revenir.
 
J'ai oublié les noms, les lieux exacts.
Je me sens le devoir de raconter par écrit cette histoire authentique qui m'a été confiée en tant que dépositaire de ce témoignage poignant.
Petite histoire, qui fait partie de la Grande histoire : l'Histoire de France.
 
On retient généralement la défaite cinglante de nos forces armées, mais connaît-on la bravoure des hommes qui ont donné leur vie pour défendre notre Patrie ? Non !
 
Je vais donc essayer de vous raconter les faits, tous véridiques. Vous voudrez bien excuser toutes les imprécisions temporelles, géographiques, nominatives, ni même le fait que je n'utilise pas les expressions qui lui étaient propres, l'acteur de ces évènements, mon père,  n'étant plus de ce monde...
Il m'a fait ce récit en 1994 (cinquante quatre ans après les faits)...
 

................... 

09 mai 1940
 
Après être passés par Montcornet et Monthermé, nous avons fait mouvement vers la frontière.
Nous étions depuis quelques jours dans les Ardennes.
Nous avons peu progressé car nos ordres nous limitent à faire ce que nous faisons et pas plus.
 
Nous ne savons pas que nous ne sommes pas concernés par la vraie offensive Franco-anglaise qui se déroulera plus au nord ni que notre état-major ne nous fait avancer que pour assurer une continuité du front.
 
C’est pour cela que notre dotation de guerre est réduite à sa plus simple expression.
Nous avons peu de munitions en réserve. Une seule batterie d’artillerie assure notre couverture à plusieurs kilomètres derrière nous.
Nous venons cependant de percevoir, des petits canons antichars d’un modèle tout nouveau.
Le problème est qu’on a oublié de nous envoyer des instructeurs pour nous apprendre à nous en servir. De plus, on a également oublié de nous fournir les obus qui iraient sûrement bien avec ces canons.
 
Nous pestons contre la mauvaise organisation de notre armée, mais en nous disant que si nous étions « la cinquième roue du carrosse », nos collègues du front nord étaient certainement beaucoup mieux dotés et que c’était cela l’essentiel.
 
Ce que nous ne comprenons pas, c’est que bien que nous « attaquions » l’ennemi, il y ait si peu d’officiers, présents dans le régiment. Nombre d’entre eux sont en permission, pendant que nous, régiment de 2500 hommes sommes commandés par un lieutenant.
 
Enfin, puisque ce n’est pas ici que l’histoire s’écrit, c’est moins grave, mais quand même, autant d’officiers en « perm », c’est vraiment déconcertant.
 
J’ai fait mon service de 1938 à 1939 dans la 36ème compagnie du 8ème RI.
A peine démobilisable, voilà que commence cette « drôle de guerre », où personne ne se bat.
Il a fallu que les Boches attaquent et neutralisent en un temps record la Belgique et la Hollande pour que les alliés envahissent la Belgique sur la demande expresse du gouvernement Belge, qui jusque là nous avait refusé l’accès de son territoire.
 
Donc me voici enrégimenté dans le 8ème Régiment d’Infanterie Mécanisée (héritier du 8ème Régiment d’Infanterie de Ligne qui s’est couvert de gloire sous Napoléon... Quelle compagnie ? Quelle section ?...(Mécanisé : Cela veut dire que les autobus Parisiens réquisitionnés nous ont fait l’honneur de nous transporter jusqu’à la frontière Française)… La pénétration en Belgique, nous l’avons faite de nuit et à pieds…
 
Je suis Caporal-Chef et je commande une section et accessoirement, je suis tireur d’élite à la mitrailleuse Hotchkiss
 
Nous sommes dans des positions en hauteur à moitié en tranchée et à moitié derrière un merlon. Nous dominons le paysage devant nous.
Les collines Ardennaises sont très boisées et pourraient offrir une bonne cachette à un adversaire improbable.
11 novembre 2016

L'odeur de la mort

GSM1

Le silence règne en maitre absolu. Les oiseaux apeurés ont fui les combats. Le ciel est bleu azur comme un ciel de vacances.
Que faut-il faire ? Que peut-on faire ? Les enterrer, mais ils sont si nombreux ? Non. Nous, on doit poursuivre notre progression. Cela ne nous regarde pas et cela nous arrange. Et pourtant…
La brise légère apporte les relents putrides des corps en décomposition. Nous avons arraché nos chemises ou extirpé des mouchoirs que nous pressons sur nos nez. La pestilence est telle que nous vomissons.
Le spectacle, lui, nous le connaissons. Les corps sont gonflés, mutilés. Le sang est noir. Viscères, os à nus, cervelles, membres arrachés, chacun de nous connait cela.
Mais l’odeur, cette odeur qui vous colle à la peau, cette odeur que l’on fuit, cette odeur qui nous fera brûler nos treillis et nous laver frénétiquement dès que nous le pourrons, nous ne parviendrons jamais à nous en défaire. Elle nous poursuivra dans nos cauchemars et nous nous réveillerons en sueur pendant longtemps encore.
Les chiens sauvages reculent au loin en nous voyant. Ils viendront continuer leur macabre repas dès que nous aurons traversé, dès que nous leur tournerons le dos.
Nous pressons le pas. Certains courent, le bras sur le nez, pour être plus vite loin, très loin de cette odeur qui nous rend fous.
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